Comment expulser des squatteurs ?
Guide sur l'expulsion d'occupants sans droit ni titre après la loi du 7 décembre 2020 d'accélération et de simplification de l'action publique (ASAP) et la loi du 27 juillet 2023 visant à protéger les logements contre l'occupation illicite, portée par le député Guillaume Kasbarian (dite loi "Anti-Squat").
HABITATION
Killian Bocquillon
5/14/2025
L'expulsion par les forces de police sans autorisation judiciaire
Il est une hypothèse dans laquelle la libération des lieux peut intervenir à brefs délais, avec le concours de la force publique et sans l'intervention du juge ou du préfet.
Pour ce faire, il est nécessaire que les forces de police puissent constater une infraction flagrante, c'est-à-dire un crime ou un délit qui "se commet actuellement, ou qui vient de se commettre" (CPP, art. 53).
Juridiquement, le squat est une infraction pénale définie comme (C. pén. art. 226-4 ; 315-1) :
le fait de se s'introduire dans un local à usage d'habitation ou à usage commercial, agricole ou professionnel à l'aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte ;
le fait de se maintenir dans ce local à la suite de l'introduction réalisée à l'aide de manœuvres, de menaces de voies de fait ou de contrainte.
Il y a donc deux délits différents : celui consistant à s'introduire dans le local à l'aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte (infraction instantanée) et celui de se maintenir dans le local à la suite d'une telle introduction (infraction continue).
La difficulté est la suivante : en application du principe de légalité des délits et des peines, il n'est possible de caractériser une telle infraction qu'à la condition que les squatteurs se soient introduits à l'aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte.
En d'autres termes, il est extrêmement difficile de caractériser l'infraction lorsque les squatteurs se munissent d'un faux bail et justifient du paiement d'un loyer, puisqu'ils pourraient alors prétendre, à défaut de preuve contraire, qu'un tiers a forcé l'accès au local puis s'est présenté comme le réel propriétaire des lieux. Dans cette hypothèse, ce ne sont pas les occupants sans droit ni titre qui se sont introduits à l'aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte.
Ce tiers qui met à disposition le logement d'autrui se rendrait par ailleurs responsable de l'infraction visée à l’article 313-6-1 du code pénal.
En synthèse, la police est susceptible d'intervenir sans autorisation judiciaire dans les cas de figure suivants :
les occupants sans droit ni titre se sont introduits dans le local à l'aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte ;
Il faut alors en apporter la preuve par tous moyens (constat de commissaire de justice) ;
Il faudra ensuite immédiatement déposer plainte au commissariat, dans un délai de 48 heures : étant précisé que ce délai n'est pas prévu par la loi mais qu'il correspond à la pratique au sein des commissariats pour caractériser une infraction flagrante ;
théoriquement, les forces de l'ordres pourraient intervenir au-delà du délai de 48 heures. En effet, comme précisé ci-dessus, le fait de se maintenir dans un local à l'issue d'une introduction à l'aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte constitue une infraction continue, c'est-à-dire qui "se commet actuellement", au sens du code de procédure pénale. Pour autant, il est rare que la police intervienne dans ce cas de figure, ne serait-ce que parce qu'il devient difficile de prouver que ce sont bien les occupants qui se sont introduits dans le local de manière illicite.
La procédure administrative accélérée d'expulsion sous l'égide du Préfet
La procédure administrative prévue par l'article 38 de la loi DALO permet d'expulser les occupants sans droit ni titre en saisissant le Préfet à cette fin, et ce sans passer devant le juge, aux conditions suivantes :
Intrusion illicite : les squatteurs doivent s’être introduits et maintenus dans le local à l’aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contraintes.
Le bien doit être à usage d'habitation : étant précisé que cela s'entend au sens large, cette procédure pouvant s'appliquer aussi bien pour un domicile, une résidence secondaire, qu'un bien en cours de vente entre deux locations, un bien inclus dans une succession en cours... (circulaire NOR TREL2327219C du 2 mai 2024).
Une difficulté naît là encore de la rédaction du texte. En effet, tel qu'il est rédigé, il faudrait caractériser à la fois l'introduction et le maintien dans les lieux des squatteurs à l'aide de manœuvres, menaces, voies de fait ou de contraintes. En d'autres termes, un maintien qui serait consécutif à une introduction régulière ne devrait pas permettre de mettre en œuvre la procédure d'expulsion accélérée (en ce sens : TA Melun, 22 mars 2024 n° 2303641). Tout du moins, une incertitude subsiste à ce sujet.
La circulaire du 2 mai 2024 précise en ce sens que : "les conditions d’introduction et de maintien sont cumulatives. Cette double condition fait obstacle à l’utilisation de cette procédure afin de procéder à l’évacuation forcée d’occupants dont seul le maintien dans le logement est irrégulier, tels des locataires dont le bail aurait été résilié."
Néanmoins, si ces conditions sont remplies, la procédure administrative d'expulsion est théoriquement très efficace. La circulaire du 2 mai 2024 précise ainsi :
qu'il faut déposer plainte auprès du commissariat pour l'infraction visée à l'article 226-4 ou 315-1 du code pénal ;
la demande peut être formée soit par la personne dont le domicile est occupé de façon illicite, soit par "toute personne agissant dans l'intérêt et pour le compte de celle-ci". Néanmoins, si le local à usage d'habitation ne constitue pas un domicile, la demande doit émaner du propriétaire.
qu'il faut établir la preuve que le local occupé illicitement constitue le domicile ou la propriété du demandeur (ex : titre de propriété, avis d'imposition etc...) ;
qu'il faut faire constater l'occupation illicite par un officier de police judiciaire, un maire, ou un commissaire de justice ;
A l'issue de ces démarches, il convient d'adresser un courrier au Préfet (modèle ici), lequel doit instruire la demande dans un délai impératif de 48 heures à compter de la réception de celle-ci. En pratique ce délai de réponse n'est pas respecté par les préfectures.
Si toutes les conditions de la procédure sont réunies, le Préfet est tenu de mettre en demeure les occupants de quitter les lieux, dans un délai qui ne peut être inférieur à 24 heures, ou sept jours si le local ne constitue pas le domicile du demandeur.
Si la mise en demeure n'est pas suivie d'effet dans le délai fixé, le Préfet doit procéder à l'évacuation forcée du logement sans délai.
Le Préfet ne peut refuser de mettre en œuvre cette procédure que si les conditions de la procédure ne sont pas réunies ou qu'il existe un "motif impérieux d'intérêt général" qui selon la circulaire du 2 mai 2024, doit être interprété de manière stricte.
Si le Préfet ne fait pas droit à la demande d'expulsion alors que toutes les conditions sont réunies, il est possible d'agir très rapidement en référé devant le Juge administratif dans le cadre d'un "référé mesures utiles" (CJA, art. L. 521-2), pour enjoindre au représentant de l'état de mettre en œuvre cette procédure.
A noter que rien n'empêche d'agir à la fois sur le plan administratif et judiciaire pour maximiser les chances d'expulsion (TA Marseille, 8 août 2024, n° 2407214).
La procédure judiciaire d'expulsion des occupants sans droit ni titre
Le Juge des Contentieux de la Protection du lieu concerné est compétent pour connaître des actions tendant à l'expulsion des personnes qui occupent aux fins d'habitation des immeubles bâtis sans droit ni titre (COJ, art. L. 213-4-3).
Les principales problématiques qui peuvent apparaître sont la difficulté à se procurer un titre de propriété (nécessaire pour justifier d'un intérêt à agir : CA Paris, 18 février 2014, n° RG 13/09541), ou à identifier les squatteurs. Il est nécessaire de recueillir a minima l'identité d'un squatteur pour solliciter son expulsion ainsi que "tous occupants de son chef".
En pratique, cette procédure se déroule comme suit :
preuve de l'occupation sans droit ni titre à l'aide d'un commissaire de justice qui va constater l'introduction et le maintien des squatteurs dans le local, et éventuellement tenter de recueillir leur identité ;
si les squatteurs refusent de décliner leur identité, il convient de saisir le Juge des Contentieux de la Protection sur requête afin de désigner un commissaire de justice, accompagné d'un serrurier et des forces de l'ordre, dont la mission consistera à interroger et relever l'identité des occupants sans droit ni titre ;
Une fois l'identité des squatteurs établie, le Juge des Contentieux de la Protection doit être saisi au fond ou en référé (selon la complexité du dossier) pour obtenir un titre exécutoire (CPCEX, art. L. 411-1) permettant de prononcer leur expulsion ;
signification par commissaire de justice la décision de justice obtenue aux squatteurs ;
signification par commissaire de justice d'un commandement d'avoir à libérer les lieux ;
Les délais habituellement prévus pour le commandement de quitter les lieux et les délais accordés par le juge ne s'appliquent pas lorsque "le juge qui ordonne l'expulsion constate la mauvaise foi de la personne expulsée ou que les personnes dont l'expulsion a été ordonnée sont entrées dans les locaux à l'aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte." (CPCEX, art. L. 412-1).
S'agissant de la trêve hivernale, le texte est rédigé de façon un peu différente puisque ce sursis ne s'applique pas : "lorsque la mesure d'expulsion a été prononcée en raison d'une introduction sans droit ni titre dans le domicile d'autrui à l'aide de manœuvres, de menaces, de voies de fait ou de contrainte" (CPCEX, art. L. 412-6). En revanche, la trêve hivernale s'applique, sauf décision contraire du juge, si le local objet du squat ne constitue pas un domicile.
Le jour de l'expulsion, le commissaire de justice va se présenter sur les lieux et soit procéder à l'expulsion dès lors que l'occupant est présent et ne s'y oppose pas ou que le local est abandonné (CPCEX, art. R. 451-1), soit requérir le concours de la force publique dans les autres cas.
Que faire si le préfet refuse d'accorder le concours de la force publique ?
Malgré le succès de la procédure d'expulsion, il est possible que le Préfet refuse d'accorder le concours de la force publique. Dans ce cas, l'Etat doit indemniser le préjudice du propriétaire (CPCEX, art. L. 153-1).
La marche à suivre pour obtenir cette indemnisation est la suivante :
la décision de refus d'accorder le concours de la force publique du Préfet naît lors de sa décision explicite ou à défaut, dans le délai de deux mois suivant sa réquisition (décision implicite de rejet) ;
une demande gracieuse d'indemnisation doit être adressée suivant lettre recommandée avec avis de réception aux services préfectoraux ;
la décision de refus d'indemniser le propriétaire du Préfet naît lors de sa décision explicite ou, à défaut, dans le délai de deux mois suivant sa saisine ;
le Tribunal administratif doit alors être saisi d'une demande indemnitaire dans un délai de deux mois qui suit la décision explicite ou implicite de rejet du Préfet.
L'expulsion d'occupants sans droit ni titre est donc une démarche complexe pour laquelle le Cabinet peut vous accompagner : prenez rendez-vous.