A quel moment s'apprécie le caractère réel et sérieux du prix dans une promesse unilatérale de vente ?
Par un arrêt contestable du 21 novembre 2024, la Cour de cassation a jugé qu'en matière de promesse unilatérale de vente, le caractère réel et sérieux du prix s'apprécie non à la date de la levée d'option, mais à celle de la promesse de vente (3ème civ., 21 novembre 2024, n° 21-12.661)
VENTE IMMOBILIÈRE
Killian Bocquillon
11/30/2024
Le 21 octobre 1971, le bailleur d’une parcelle de terrain a consenti une promesse unilatérale de vente au profit du preneur. Cette promesse avait une durée de quatre années à compter du 1er novembre 1971, tacitement prorogée pour une durée de quatre ans et prenant fin un an après la mise en service d’une rocade à proximité de la parcelle et dont le principe de la construction était acquis.
Par lettre recommandée du 1er juin 2011, l’ayant-droit du Promettant a indiqué à l’ayant-droit du Bénéficiaire par courrier avec accusé de réception, qu’il considérait la vente comme caduque.
Le 18 novembre 2016, le Bénéficiaire a levé l’option, dans le délai prévu par la promesse, étant précisé que la rocade devait être ouverte à la circulation le 24 novembre suivant.
Le Bénéficiaire a engagé une procédure aux fins de transfert de propriété de la parcelle et de condamnation au paiement de dommages-intérêts pour résistance abusive : la Cour d’appel d’Aix-en-Provence (CA Aix-en-Provence, 5 janvier 2021, n° RG 19/16719) le déboute de ses demandes : selon la Cour d’appel, la réalisation forcée de la vente ne peut être ordonnée, pour deux raisons :
La rétractation du Promettant antérieure à la levée d’option ferait obstacle à l’exécution forcée de la vente, s’agissant d’une simple obligation de faire ne se résolvant qu’en dommages intérêts ;
Au surplus, la vente ainsi formée serait nulle pour défaut de prix réel et sérieux, ce prix s’appréciant selon le Cour à la date de la levée d’option.
L’arrêt n’apporte pas de véritable nouveauté en ce qu’il précise que la rétractation du promettant antérieure à la levée d’option du bénéficiaire ne produit aucun effet : ce principe, consacré par l’article 1124, alinéa 2 du code civil, avait vocation à mettre fin à la jurisprudence très critiquée Consorts Cruz, aux termes de laquelle la vente n’était en ce cas pas susceptible d’exécution forcée, le promettant n’étant tenu qu’à une obligation de faire, et l’inexécution de la promesse ne se résolvant qu’en dommages-intérêts (3ème civ., 15 décembre 1993, n° 91-14.999)
La Cour de cassation a déjà eu l’occasion de préciser que ce principe dégagé par la réforme du droit des obligations était également applicable pour les promesses conclues avant l’entrée en vigueur de la réforme du droit des obligations, ce revirement de jurisprudence ne portant pas atteinte, selon la Haute juridiction, à la sécurité juridique (3ème civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554 ; Com., 15 mars 2023, n° 21-20.399).
La cassation était donc inévitable bien que la Cour d’appel se soit intégralement conformée à l’état du droit existant au jour où elle s’est prononcée (le 5 janvier 2021), le revirement précité ayant eu lieu quelques mois plus tard. La Cour de cassation le reconnaît d’ailleurs de manière originale puisqu’elle indique qu’en « se conformant à l’état de la jurisprudence à la date du prononcé de son arrêt, la cour d’appel a violé les textes susvisés ».
L'arrêt apporte néanmoins une précision inédite et contestable sur la date d'appréciation du caractère réel et sérieux du prix en présence d'une promesse unilatérale de vente.
Une décision contestable du point de vue de l'objet de la promesse de vente
Une vente nécessite une chose et un prix sous forme monétaire (C. civ. art. 1583). Il est vrai que ce prix doit être d’une part déterminé ou déterminable, et d’autre part réel et sérieux. Or, le code civil définit désormais la promesse unilatérale comme le contrat « par lequel une partie, le promettant, accorde à l'autre, le bénéficiaire, le droit d'opter pour la conclusion d'un contrat dont les éléments essentiels sont déterminés, et pour la formation duquel ne manque que le consentement du bénéficiaire. ».
C’est ce cheminement qui permet à la Cour de cassation d’affirmer que, dès lors qu’une vente doit comprendre un prix réel et sérieux, la promesse unilatérale doit, par symétrie, comprendre un prix réel et sérieux. Ce raisonnement peine à convaincre principalement pour deux raisons.
La première raison est que l’arrêt confond ce qui relève de la formation du contrat de vente d’une part, et de sa validité d’autre part. En effet, c’est une chose de dire que les éléments essentiels du contrat, en l’occurrence le prix, doit être déterminé au jour de la promesse (C. civ. art. 1124). C’en est une autre d’exiger que ce prix doive répondre aux critères de validité posées par la loi : à savoir, un prix réel et sérieux (C. civ. art. 1169).
En effet, le fait que le prix soit déterminé ou déterminable à la date de la promesse suffit à permettre la perfection du contrat par la levée d’option du bénéficiaire. Aucun nouvel accord n’est nécessaire pour constater la formation de l’acte de vente aux conditions initialement prévues par les parties, à la date de la levée d’option. C’est d’ailleurs l’objet principal de la promesse, qui le vecteur d’un accord de volonté : constater le consentement des parties, et sceller définitivement l’accord des cocontractants sur les éléments essentiels du contrat projeté (M. MEKKI, « La vileté du prix dans la promesse unilatérale de vente : Mieux vaut une injustice qu’un désordre », JCP N, n° 6, 7 février 2025, p. 47). C’est ce qui explique que les conditions relatives au consentement des parties s’apprécient à la date de la promesse, et non à celle de la levée d’option (3ème civ., 23 juin 2021, n° 20-17.554). En revanche, il est constant que les conditions relatives au prix dans la vente ne constituent pas des vices du consentement, mais des vices objectifs relatifs à l’équilibre économique du contrat (Cass. req. 28 décembre 1932). Le contrôle de l’équilibre économique du contrat doit logiquement être contrôlé au stade de la vente définitive, et non au stade de la promesse unilatérale, ou par définition, le bénéficiaire ne s’engage pas à acquérir.
La deuxième raison est que la notion de contrepartie illusoire ou dérisoire (C. civ. art. 1169), qui correspond au vil prix, s’applique difficilement au schéma de la promesse unilatérale de vente. A la date de la promesse de vente, la contrepartie de l’engagement du Promettant est difficilement identifiable en elle-même, puisque le Bénéficiaire n’a aucun engagement d’acquérir, à la différence de la promesse synallagmatique, où il est à l’inverse tout à fait logique que l’appréciation du montant du prix se fasse à la date de l’avant-contrat (3ème civ., 30 mars 2011, n° 10-13.756).
Ainsi, le lien logique entre la détermination des éléments essentiels du contrat projeté au jour de la promesse et la date d’appréciation de tous ces éléments au stade de la promesse peut être contesté.
Une décision peu convaincante au regard de ses justifications et de ses conséquences
L’on sait qu’en matière de lésion, l’article 1675 du code civil prévoit que l’appréciation du prix se fait, en matière de promesse unilatérale de vente, à la date de la levée d’option. La Cour de cassation établit donc une différence entre ce qui relève de la lésion, régie par un texte du code civil, et la vileté du prix, pour laquelle il n’existe pas de règle similaire dans le code civil. Ce raisonnement est là encore contestable pour plusieurs raisons.
En premier lieu, s’il est vrai que l’article 1675 du code civil ne concerne que la lésion, la philosophie derrière la règle est parfaitement transposable au vil prix. En effet, il ne faut pas oublier que l’article 1675 du code civil n’est que la codification par le législateur en 1949 d’une règle prétorienne, qui se justifiait par le fait que le contrôle du prix ne se rattache pas à l’échange des consentements, que véhicule la promesse unilatérale de vente, mais à l’opération économique que réalise la levée d’option, c’est-à-dire la vente.
En second lieu, la différence de régime établie entre le vil prix et le prix lésionnaire est d’autant moins justifiable que le premier est bien plus grave que le second. La Cour de cassation rappelle certes constamment que le prix vil n’est pas le prix lésionnaire (3ème civ., 15 décembre 2010, n° 09-16.838). En effet, si la lésion sanctionne un déséquilibre important dans les ventes immobilières (7/12ème), le vil prix confine à l’inexistence pure et simple de contrepartie, dit autrement « illusoire ou dérisoire » (C. civ. art. 1169). Ainsi, la sanction du vil prix, qui ne correspond pas à la simple hypothèse d’un prix excessivement bas, est suffisamment rare et grave pour justifier un traitement au moins égal à celui de la lésion.
En troisième lieu, l’appréciation du vil prix à la date de la promesse est très préjudiciable au Promettant, d’autant plus lorsqu’elle est combinée avec la durée indéterminée de la promesse. En l’occurrence, le contrôle du prix en 1972 aboutit à une solution gravement déséquilibrée pour le promettant, contraint de vendre à un prix largement inférieur à sa valeur réelle au jour de la levée d’option, alors qu’il était probablement équilibré au jour de la promesse. On rappellera qu’à la lecture de l’arrêt d’appel, le terrain est devenu constructible entre la date de la promesse et de la vente, pour voire son prix augmenter considérablement. On peut légitimement se demander si l’objet de la promesse n’a pas lui-même changé entre 1971 et 2016.
En dernier lieu, on peut deviner que le raisonnement de la Cour de cassation prive le promettant de son droit d’agir relativement à cette prétention : en effet, si le caractère équilibré du prix s’apprécie au jour de la promesse, cela signifie-t-il, pour la Cour de cassation, que l’action en nullité se prescrit par 5 ans à compter de la promesse, et non de la levée d’option ? Dans le cas d’espèce, le délai d’action pour la lésion (qui est caractérisée) est expiré puisque l’option a été levée le 18 novembre 2016. Reste au Promettant à se prévaloir de l’éventuelle caducité de la Promesse devant la Cour d’appel de renvoi…
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